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Chronique de Roger Gbégnonvi – Afrique : Suggestions pour nos 60 ans d‘indépendance

(Photo : Roger Gbégnonvi, Professeur et écrivain béninois)

Dans un an, en 2020, défilé bon-enfant des 60 ans d’indépendance-errance africaine. Discours grandioses. On entendra des choses. Mais pas que c’est l’absurdité pétrifiée que la réplique en plus grand de Saint-Pierre de Rome dans un village de brousse et de boue où les caïmans s’encanaillent et croquent les bipèdes imprudents. Mais pas que c’est la monstruosité incarnée quand trois anciens chefs d’Etat tourmentent le peuple au Bénin et au Burkina juste pour déstabiliser leur successeur. On entendra partout que le bilan des 60 ans est ‘‘globalement positif’’ alors que partout l’Afrique aura reculé ou, au mieux, piétiné.

Exemple de piétinement. Nos dirigeants ont-ils un bobo, ils courent se faire soigner dans la mère patrie coloniale. Parfois le bobo les emporte. Défunté, le ‘‘père de la Nation’’ revient en cercueil zingué. Ameutée, la foule vient badauder à l’aéroport dépoussiéré pour les beaux yeux du cadavre. Chants et prières. Eau bénite et encens offerts par l’archevêque pour ouvrir le cirque des obsèques nationales. En 60 ans d’indépendance-errance, on ne compte plus le nombre de dignitaires politiques et religieux partis mourir loin des citoyens et des fidèles pour confirmer que l’idéal de vie et de mort se trouve outre-mer et que l’Afrique n’est bonne que pour accueillir des macchabées pansus. Au lendemain des indépendances, les populations analphabètes laissées pour compte voulaient le retour immédiat des Blancs pour moins de malheur. Elles n’en sont plus là à la veille des 60 ans d’indépendance-errance, mais elles n’en pensent pas moins en considérant le délabré de leurs hôpitaux en 2019.

Exemple de recul. La France colonisatrice, civilisatrice et évangélisatrice, a jeté son baptême aux orties. « Le nombre de catholiques ‘pratiquants réguliers’ est devenu marginal (entre 2 et 4% aujourd’hui [en 2018], contre 25% en 1960) ». Les séminaires sont vides. Les églises encore ouvertes sont hantées d’abord par des gens du troisième et du quatrième âge angoissés par leur retour prochain au néant. Pour gérer la fin du catholicisme en France, l’épiscopat français importe, entre autres, des prêtres africains. Des Béninois ordonnés ont mordu à l’hameçon, ne serait-ce que pour fuir la pauvreté accrue des paroisses rurales et lacustres de leur pays. En France déchristianisée, ils ressassent le catéchisme hérité des prêtres de la Société des Missions Africaines. Mais ils ont beau s’être bien intégrés et avoir obtenu « la nationalité », aucun d’eux ne sera élevé. Le Pape n’humiliera pas la « Fille aînée de l’Eglise » en faisant évêque à la tête d’un de ses diocèse un Nègre venu aider à sauver les meubles de la sacristie. Recul et même chute à la veille des 60 ans d’indépendance-errance.

En soixante ans bientôt de ce qu’on a appelé ses indépendances, piétinement et recul de l’Afrique se voient à une loupe sur mesure, dont seuls les Africains de mauvaise foi contesteront l’acuité. Ce sont ces Africains-là qui, désespérés sans vouloir le dire, abattent la carte de l’Égypte ancienne comme référence positive africaine. Certes l’Égypte se trouve en Afrique, mais a-t-elle vivifié le nord ou le sud ? Son rayonnement a-t-il traversé le désert du Sahara en direction de l’Afrique noire ? Ce sont ces Africains-là, désespérés sans vouloir le dire, qu’Aimé Césaire invite à oser dire avec lui : « Je refuse de me donner mes boursouflures comme d’authentiques gloires. / Et je ris de mes anciennes imaginations puériles. »

Alors, décidons-nous, osons ! A l’heure de l’insouciante bamboula des 60 ans d’indépendance-errance, laissons à nos présidents les discours affligeants. Laissons à Cheikh Anta Diop les discours gratifiants. Réfléchissons et agissons. Car maintenant « Il faut bien commencer. / Commencer quoi ?/ La seule chose au monde qui vaille la peine de commencer : La Fin du monde parbleu. » Césaire toujours. La fin du Bénin avachi pour créer le Bénin debout, Bénin de labeur et de responsabilité, Bénin pour être et pour exister.

Par le professeur Roger Gbégnonvi, écrivain.

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