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France : Le Parlement adopte à l’unanimité la loi visant à retirer automatiquement l’autorité parentale d’un parent auteur de violences intrafamiliales

« Un parent violent ne peut être un bon parent ». En Commission, au Parlement français, le texte avait reçu un soutien unanime. La proposition de loi « visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et co‑victimes de violences intrafamiliales », déposée par la députée (PS), Isabelle Santiago, a connu le même succès dans l’hémicycle français. Et juste après que l’Assemblée a adopté le texte tard dans la nuit d’hier, jeudi 9 à ce vendredi 10 février, le ministre français de la Justice, Éric Dupond-Moretti, a fait savoir qu’il sera sans doute étudié dès le mois de mars prochain, au Sénat. Cette proposition de loi est composée de deux articles, qui proposent de retirer ou de suspendre de manière « automatique » l’autorité parentale d’un parent violent.

« Retrait de l’autorité parentale » automatique

Pourquoi et comment ? Le premier article souhaite imposer un « retrait de l’autorité parentale » automatique « dès lors qu’un parent est condamné pour viol ou agression sexuelle contre son enfant ou pour un crime ou des violences ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de huit jours commis sur la personne de l’autre parent ». C’est ce que réclame notamment la Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants (CIIViSE). « On pense encore trop le droit des parents à voir leurs enfants, à maintenir ce qu’ils appellent le lien, et on ne pense pas assez la protection des enfants. », estime Ernestine Ronai, membre de la CIIViSE. « C’est invraisemblable que l’on demande à un père qui a agressé sexuellement un enfant de décider de son avenir. », lance-t-elle.

L’emprise par le biais de l’autorité parentale

Aujourd’hui, en France, la loi qui date de 2019 permet « la possibilité de retrait de l’autorité parentale du parent condamné pour un délit, et plus seulement pour un crime, commis sur son enfant ou sur l’autre parent ». Mais il n’est pas automatique, ce que dénonce la députée Isabelle Santiago. « Comment imaginer qu’un parent condamné pour agression sexuelle sur son enfant ne se voit pas retirer automatiquement l’autorité parentale sur ses enfants ? », interroge-t-elle dans sa proposition de loi. Pour l’avocate Anne Bouillon, spécialisée en droit des femmes et de la famille, c’est une mesure « radicale ». « Le retrait de l’autorité parentale, c’est la déchéance des droits d’un des parents. Juridiquement, il est privé de toute capacité à décider de ce que l’enfant va devenir. Ce qui, dans les faits, est assez rare. », explique-t-elle. Et c’est bien cette rareté qui est dénoncée dans la proposition de loi : « L’autorité parentale a pour finalité l’intérêt de l’enfant, qui se trouve pourtant bafoué dès lors qu’un parent exerce des violences intrafamiliales. Pire, elle peut devenir un élément d’emprise sur son enfant ou sur l’autre parent. », est-il précisé.

« Sans suspension de l’autorité parentale, on doit demander à l’homme qui a tenté de vous tuer l’autorisation de donner des soins psychiatriques à sa fille qui souffre d’un syndrome de stress post-traumatique. »

Laura Rapp

Les mécanismes d’emprise, de violence et de domination d’un parent sur l’autre, qui peuvent continuer à s’exercer en cas de séparation par le biais de l’autorité parentale, sont une réalité. « Sans suspension de l’autorité parentale, on doit demander à l’homme qui a tenté de vous tuer l’autorisation de donner des soins psychiatriques à sa fille qui souffre d’un syndrome de stress post-traumatique. », explique Laura Rapp, dont le compagnon a essayé de l’étrangler devant sa fille de 2 ans. « On voit bien que le but poursuivi n’est pas l’intérêt de l’enfant, mais le fait d’atteindre l’autre. », souligne l’avocate Anne Bouillon.

Un retrait de l’autorité parentale « peu appliqué »

Pour la députée Isabelle Santiago, le retrait de l’autorité parentale en cas de condamnation d’un des parents pour violences intrafamiliales est « trop peu appliqué ». Ce que confirme l’avocate. « Il y a trop de cas où l’autorité parentale n’est pas retirée. », affirme Anne Bouillon. « Parce que la figure paternelle du chef de famille est toujours extrêmement vive. Je vois des pères qui ne demandent qu’une chose, c’est que l’autorité parentale ne leur soit pas retirée. Ils ne discutent pas leur peine, mais ils s’arc-boutent sur l’autorité parentale. », explique-t-elle.

« Sauf décision contraire et motivée du juge »

Le texte préconise donc de retirer « automatiquement » l’autorité parentale en cas de condamnation, « sauf décision contraire et motivée du juge ». Une nuance ajoutée en commission parlementaire pour éviter tout risque d’inconstitutionnalité des peines automatiques. La question de l’automaticité pose tout de même problème, pour l’avocate. « L’objectif poursuivi est le bon : on ne peut pas exercer l’autorité parentale après avoir commis un crime sur l’autre parent ou après avoir été incestueux. Mais le juge doit garder son plein office et pouvoir juger. », nuance Anne Bouillon. « C’est un peu une solution de facilité, ça prive de la possibilité d’expliquer au juge pourquoi c’est impossible de la maintenir. », éclaire-t-elle. À l’en croire, une circulaire aurait peut-être été plus adaptée, pour inviter les juges « à prendre toute la mesure de la gravité de la situation ». « Il vaut mieux faire évoluer les mentalités, plutôt que de considérer que le juge n’a pas la capacité à prendre les bonnes décisions. », estime-t-elle.

Suspension avant le jugement

Le second article de la proposition de loi prévoit automatiquement « la suspension de l’exercice de l’autorité parentale, ainsi que des droits de visite et d’hébergement lorsque les violences sur l’autre parent ont entraîné une incapacité totale de travail de plus de huit jours. Surtout, cette suspension s’impose dès lors qu’il y a une poursuite du parent pour viol ou agression sexuelle envers son enfant ». Et ce, jusqu’à la prononciation du jugement. « Une procédure pénale peut s’étaler sur plusieurs années, et pendant tout ce temps il est nécessaire de protéger l’enfant de son parent suspecté d’être violent. », souligne le texte. C’est aussi ce que réclament les associations et la CIIViSE.

« Cette mesure relève de la précaution et donc de la protection. »

Anne Bouillon

À noter que « cette mesure relève de la précaution et donc de la protection. », confirme l’avocate Anne Bouillon. « Dans cette zone un peu grise où les mesures judiciaires ne sont pas encore effectives, les victimes sont particulièrement exposées. La suspension automatique qui sera ensuite rediscutée devant un juge me semble intéressante. », poursuit-elle. Aujourd’hui, dans le pays que dirige Emmanuel Macron, la loi prévoit une possibilité de suspension de plein droit de l’autorité parentale pour un crime envers l’autre parent, mais elle n’est pas automatique. Pour l’avocate, cette suspension le temps de la procédure judiciaire n’est pas incompatible avec la présomption d’innocence du parent mis en cause. « C’est comme toutes les mesures provisoires de précaution. », explique-t-elle. « Lorsque l’on place quelqu’un sous contrôle judiciaire, il a une restriction du périmètre de ses libertés, alors qu’il n’est pas jugé. Lorsque quelqu’un est en détention provisoire, il est toujours présumé innocent. », detaille-t-elle.

Protéger les enfants

Pour Ernestine Ronai, de la CIIViSE, il faut protéger les enfants qui dénoncent des violences, quelle que soit la situation. « Parfois, il n’y a pas de preuves, c’est sûr. Mais l’enfant a dit. Si je vais au commissariat et je déclare qu’on m’a volé mon portable, personne ne soulève le fait que j’ai pu mentir. », indique Ernestine Ronai. Mais ces mesures ne concerneront que peu de victimes, selon les associations de lutte contre l’inceste. « 8% des parents dont les enfants révèlent un inceste portent plainte. 80% des plaintes sont classées sans suite. », relève Isabelle Aubry, présidente de Face à l’Inceste. 160.000 enfants sont victimes d’inceste ou de violences sexuelles chaque année en France, selon la CIIViSE. Rappelons que dans le pays, 400.000 enfants vivent par ailleurs dans des foyers où les violences conjugales sont permanentes. Dans l’écrasante majorité des cas, le parent violent est un homme.

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