« La Bête c’est d’avoir livré le Renouveau démocratique à des gens d’abord dévoués et serviables, mais incapables ensuite de résister à l’argent et au pouvoir. Devenus sans foi ni loi, ils pactisent avec l’immonde, l’imposture, l’immoralité, pour garder éternellement toutes sortes d’avantages, au détriment des jeunes diplômés sans emploi et de leurs parents aux abois, au détriment des populations sans eau ni électricité, etc. Voyant que le Bénin n’est plus l’otage de leurs intérêts, ils viennent de créer l’Organisation Secrète de Survie (OSS). La Bête se meurt, et ses râles écœurent le peuple épuisé par son égocentrisme trentenaire.
On datera du 26 février 2019 le premier râle. Payés et poussés par l’OSS, des paysans-chasseurs surgissent de leur brousse et, de leur fusil artisanal, font feu sur la police. Prévenu de la Bêtise par ses Services, l’Etat a donné des consignes fermes : la police se défend sans contre-attaquer. Ses membres blessés ont été soignés à Cotonou. Dépitée, la Bête râle. Elle avait prévu que la police riposterait. Il eût suffi d’un mort parmi les assaillants. Aux aguets, les réseaux sociaux stipendiés crient au crime de masse : ‘‘Talon tue là-bas ses opposants.’’ Les smartphones diffusent des images de cadavres étalés sur le sol à Lomé au Togo : ceux de Kilibo, bien sûr ! Soudain, un coup part de nulle part au marché international de Dantokpa. Bousculade homérique. Cotonou s’embrase. La Bête aura réussi son coup. Il n’en fut rien.
On datera du 19 avril 2019 le deuxième râle. Ce Vendredi-Saint, sanglant au Golgotha, aurait dû être abondamment sanglant au Bénin. Tirant leçon du premier râle et s’étant mieux aguerrie, la Bête dépêcha les deux coryphées OSS à Dantokpa pour un meeting improvisé. Car, le peuple s’abstenant d’aller vers eux, ils sont allés vers lui pour allumer les bas instincts de la foule sur ce marché qui voit chaque jour la plus forte densité de population au Bénin. Comme ils avaient juré de se sacrifier pour sauver notre démocratie, la police essaya une grenade lacrymogène. Pour la première fois de leur vie, ils voyaient les effets de la chose en vrai et non à la télé, un verre de whisky à la main. Croyant qu’ils allaient périr, ils détalèrent avec une célérité que leurs rhumatismes n’auraient pas permise à froid. La Bête a râlé. Elle n’avait pas envisagé de suivre Jésus dans la mort, mais de prendre la tête d’une foule allumée pour un chemin de croix très barbare : sur son passage, la foule saccage, éventre. La Bête OSS aura endeuillé la Semaine Sainte, installé l’anarchie pour rétablir ‘‘le système des choses’’ par le retour à la république des copains et des coquins. Il n’en fut rien.
On datera du 29 avril 2019 le troisième râle. Les élections législatives se sont tenues la veille avec un taux d’abstention record. Elles n’auraient pas eu lieu si l’internet n’avait pas été coupé, car les réseaux sociaux voulaient inonder le Bénin d’images de terreur obligeant les électeurs à se terrer chez eux. Après moult injures pour agonir son successeur, le premier coryphée de la Bête OSS lui lance un ultimatum : il a jusqu’au lendemain, 30 avril, pour annuler les élections et annoncer la date de leur reprise. Sinon… La suite, ce fut le 1er mai, propice à toutes les revendications. Conciliabule OSS au domicile du second coryphée. Soucieuse, la police se rapproche. Furieuse, une bizarre bande de badauds fait barrage. Cafouillage. Et ce fut, au-dessus de Cotonou, non pas un grand bouquet de muguet, mais un panache de fumée émanée de voitures brûlées. Des incendiaires importés ? En tout cas, la Bête OSS râle, car ce n’est toujours pas le soulèvement populaire escompté. Il n’en fut rien.
Avant d’aller sombrer dans un exil honteux, la Bête fera encore dans l’immonde, l’imposture, l’immoralité. Elle frappera encore, forte de l’énergie du désespoir. Mais elle est morte. Le peuple croit à la nécessité des réformes en cours et sait qu’elles ne se feront que dans une certaine douleur. Le peuple tiendra bon. La Bête ira à Paris. Le Bénin ira de l’avant. »
Professeur Roger Gbégnonvi, écrivain.
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