(Photo : Roger Gbégnonvi, Professeur et écrivain béninois)
« Tu vois, c’est ainsi que j’attends d’une pension à l’autre. » L’inattendu de la confession est amorti par le contexte : au milieu du dernier verre, le fonctionnaire à la retraite se souvient qu’il n’a plus que 24 h pour refaire acte de vie afin que l’État continue de lui payer sa pension. La réflexion sonne triste, comme si « ma vie à présent se réduit à attendre ma pension ». C’est pourtant un retraité resté actif. Il s’est pris une jeunette sans métier, qu’il a baptisée « mon élixir du non-vieillir ». Leurs deux enfants, qu’il jure être les derniers, pourraient se retrouver sans papa avant longtemps, et la jeune veuve devra se remettre sur le marché avec deux orphelins, car la mère des sept enfants légitimes n’entend partager aucun héritage avec celle qu’elle a baptisée « la traînée de mon mari ». Trois fois par semaine, son mari tente le PMU en lorgnant le million. Il hante les bars pour tâter les serveuses, prêtes aussi à servir leurs charmes pour un petit pécule. Et il attend sa pension sans s’apercevoir qu’il commet contre le Bénin un péché de pure consommation finale.
Une consommation commise de façon répandue, puisque le fonctionnaire béninois en activité va maugréant : « Un salaire de misère ! J’attends la retraite pour quitter cette galère. » En attendant, il travaille par défaut. Les concitoyens qui ont recours à ses services sont mal servis. Il est souvent absent grâce aux bons soins de son ami toubib qui lui arrange les certificats médicaux idoines. Alors il prend le large vers quelque affaire censée adoucir la misère de son salaire. Son quotidien ressemble à celui de son aîné à la retraite : bière, boire, télé, whisky, bars, filles. « Je bosse dur ! », clame-t-il partout. Et il attend son salaire sans s’apercevoir qu’il commet contre le Bénin un péché de pure consommation attentiste.
Une consommation commise par jeunes diplômés sans emploi et jeunes chômeurs sans diplôme. Les uns voulaient devenir fonctionnaires : porte close. Les autres ont quitté les villages, où ils étaient en surnombre, pour Cotonou et Parakou, où ils sont en surnombre. Résignés, ils errent dans la ville, faisant de l’errance leur métier dans le Bénin en chantier. Ils rendent visite à de vagues parents ou amis pour être pris en pitié : « Rien mangé encore aujourd’hui ? Oh, mon Dieu ! Assois-toi et mange. Voici mille f. pour le transport. C’est trop triste, notre pays ! Et l’Etat ne fait rien pour vous. » Et il est vrai que tous regardent vers l’État à qui la croissance démographique a retiré le droit de se prendre pour la Providence. Vigoureux et intelligent, le jeune chômeur attend le pain et l’argent de la charité, sans s’apercevoir qu’il commet contre le Bénin un péché de pure consommation stérile.
Quelle existence aurait le Bénin sans les cultivateurs, les pêcheurs, les éleveurs, les chasseurs ? Or la nature qu’ils exploitent n’est pas extensible, la vérité est qu’elle recule pour faire place nette à la démographie dont rien n’arrête l’avancée. Le fonctionnaire à la retraite prend plaisir à en rajouter afin que nul n’aille croire qu’il s’est retiré du travail de la procréation. Mais à cette allure, c’est la nature, épuisée, qui se retire : terres arables rétrécies, bas-fonds habités, certains poissons absents des assiettes à force d’être pêchés et mangés alevins, le simple gibier en passe de coûter aussi cher que le caviar importé de Madagascar, et il n’est pas exclu que l’on doive, à l’avenir, assécher des rivières pour bâtir des demeures. Si nous poursuivons dans la voie de la consommation coupée de la production, quelle existence aura le Bénin ? Il urge, pour chacun et pour tous, d’avouer le triple péché des Béninois contre le Bénin et de comprendre que « le moment est venu d’en finir avec nos querelles pour édifier ce pays et unir ce peuple contre un danger plus proche qu’on ne suppose et qui menacerait jusqu’à son existence même ! » Merci, Aimé Césaire, de nous prévenir du danger. Nous allons nous mettre au travail pour l’exorciser. Merci, Aimé.
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