C’est la mort silencieuse de la biodiversité. Des vagues de chaleur simultanées se sont abattues mi-juillet sur l’Europe du Sud, l’Afrique du Nord, le sud des États-Unis et une partie de la Chine, avec des températures excédant les 50 degrés dans la vallée de la Mort. Les mers et océans bouillonnent : la Méditerranée a battu son record journalier de températures en atteignant les 28,7 °C, le mardi 25 juillet dernier, quand l’Atlantique Nord frôlait la barre des 25 °C le lendemain. Et alors que le mois de juillet 2023 est le plus chaud jamais enregistré, les scientifiques sonnent l’alerte : la nature va perdre sa capacité à nourrir les hommes. Avec l’intensification et la multiplication des canicules, des sécheresses, mais aussi d’évènements extrêmes (cyclones, pluies diluviennes…), « il existe un risque croissant de pertes importantes et simultanées de récoltes dans différentes régions du monde, ce qui affectera réellement la disponibilité et les prix des denrées alimentaires », a averti, le 21 juillet dernier, John Marsham, professeur de sciences atmosphériques à l’université de Leeds, dans les colonnes du Guardian.
L’Afrique en manque de protéines
La situation est d’autant plus dramatique qu’un dixième de la population mondiale est aujourd’hui en situation de malnutrition selon l’ONU, et que le nombre de Terriens devrait avoisiner les 10 milliards en 2050. Dès lors, comment garantir la sécurité alimentaire mondiale tout en limitant le déclin de la biodiversité ? Des chercheurs répondent.
D’ici 2040, soit dans 17 ans, les vagues de chaleur devraient être douze fois plus fréquentes à cause du changement climatique d’origine humaine. Bien qu’une seule vague de chaleur ne puisse pas tuer un écosystème, des événements plus longs et plus fréquents signifieront que la nature n’aura pas le temps de se rétablir. « L’effet cumulé des canicules et des sécheresses altèrent ainsi déjà les cultures en Afrique, Asie du Sud Est et dans une moindre mesure en Amérique latine. », explique Goneri Le Cozannet, coauteur du groupe II du dernier rapport du GIEC. Selon ce groupe d’experts du climat, dans un scénario où notre économie continuerait d’être basée sur les énergies fossiles, « 10 % des régions actuellement propices à des cultures et à de l’élevage de grande ampleur deviendront climatiquement inadaptées d’ici 2050, et entre 31 et 34 % de ces zones à la fin du siècle ».
Sur notre continent en particulier, le défi est immense. « Les régimes alimentaires sont déjà déficitaires en protéines animales. Alors que la population africaine augmente fortement, il faut intensifier la production agricole tout en limitant au maximum la pression sur la biodiversité, la déforestation, et les émissions de gaz à effet de serre. », abonde Guy Richard, Directeur de recherche à l’Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’alimentation et l’Environnement (INRAE).
Ricochet des pertes européennes
L’agriculture européenne n’est pas épargnée par l’augmentation des températures et vagues de chaleur à répétition. Alors que l’Espagne subit une grave sécheresse depuis le printemps, « il y a des pertes qui atteignent 80 % sur certaines oliveraies d’Andalousie. », déplore l’agroclimatologue, Serge Zaka, auprès de nos confrères français de Libération. Le scientifique affirme que le maïs espagnol atteint désormais ses limites physiologiques, et arrête de pousser au-dessus de 40 degrés. Le blé européen commence, lui aussi, à subir les affres du climat, et les pertes de productivité de cette céréale représentent un risque pour la sécurité alimentaire mondiale, notent les chercheurs du GIEC. Car si le continent européen est pour l’heure peu préoccupé par sa sécurité alimentaire, de nombreux pays importateurs, dont ceux du Moyen-Orient, dépendent de ses rendements. « Les risques sur l’agriculture en Europe peuvent aussi se traduire par des hausses de coûts dans ces pays. », ajoute Gonéri Le Cozannet. L’expert du climat, qui travaille sur la vulnérabilité des sociétés face au changement climatique, estime que l’Europe a un rôle à jouer pour sécuriser les systèmes agricoles mondiaux.
Hécatombe en eau profonde
Et selon lui, l’intensification de l’agriculture pour répondre à des besoins alimentaires croissants n’est pas la solution. « Les techniques efficaces sur le long terme sont celles qui concilient production alimentaire et limite du déclin de la biodiversité. C’est là qu’interviennent l’agroécologie, avec une réduction massive des nitrates et des pesticides, et l’agroforesterie qui consiste à intégrer les arbres dans les paysages et les cultures. », analyse-t-il. Le chercheur regrette en revanche « les contraintes économiques et sociales qui pèsent sur les agriculteurs et les empêchent de développer ce type de production ». Un défi de taille, d’autant que la préservation de nos écosystèmes ne doit pas seulement se faire sur terre, mais aussi sous la mer. La crise climatique entraîne certes une augmentation des vagues de chaleur atmosphérique, mais aussi des vagues de chaleur marines. Le stress thermique provoque des hécatombes d’espèces dramatiques, à l’instar du « Blob », une canicule marine qui a duré trois ans, sur la côte ouest de l’Amérique du Nord entre fin 2013 et 2016. L’eau excessivement chaude pendant cette période a stoppé la croissance du phytoplancton, l’espèce à la base de notre chaîne alimentaire puisqu’elle est consommée par de nombreuses espèces marines, qui prolifèrent grâce à elle.
Trop de poissons dans nos assiettes
Les vagues de chaleur marines entraînent ainsi des pertes importantes pour la pêche, et menacent donc une source d’alimentation essentielle pour l’homme. Citant La Pêcheécologie, un manifeste pour une pêche vraiment durable (édition Essais), ouvrage du professeur en écologie marine Didier Gascuel, Gonéri Le Cozannet plaide pour une « agroécologie » de la mer afin de limiter le déclin de nos espèces marines. Le chercheur du GIEC précise son propos en expliquant que la pêche joue dangereusement avec le seuil du « rendement maximum durable », qui consiste à pêcher le maximum de poissons en frôlant la limite du déclin de l’espèce. « Dans le golfe de Gascogne, les sardines ont entre 1 an et 2 ans, et elles ne peuvent se reproduire qu’à partir d’1 an, on est à la limite de l’effondrement d’une population. », constate-t-il. La solution selon lui ? « Pêcher les poissons quand ils sont plus vieux, et donc plus gros » et cesser le chalutage en eau profonde. Limiter notre pression sur l’océan passe aussi par le fait de manger moins de poissons et de crustacés, car comme le soulignent les deux chercheurs, en Europe, ils mangent bien trop de viande par rapport à ce que les écosystèmes peuvent supporter. Gonéri Le Cozannet conclut : « Notre consommation, c’est le levier principal pour libérer les tensions sur le système alimentaire mondial ».
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