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WhatsApp pour travailler ? Une pratique qui nuit à l’équilibre entre vie pro et vie perso. Certaines entreprises utilisent l’application pour communiquer. C’est une pratique qui peut entraîner des dérives, des difficultés d’organisation et une dégradation de la santé mentale des salariés. « Dans ma boîte, j’ai trois groupes professionnels sur WhatsApp, en plus des conversations personnelles avec mes collègues et mes supérieurs. Je reçois des messages de six heures à une heure du matin. C’est non-stop, même le week-end. », décrit Fiona, responsable stratégique pour un grand groupe. « Au début, cette organisation m’allait. Mais je me suis rendu compte que ça devenait dangereux pour ma santé mentale. Je n’arrive pas à me déconnecter ni à récupérer sur mes temps de repos. », ajoute-t-elle.
Nombreuses dérives potentielles
Nombreux sont les salariés qui, comme Fiona, utilisent le réseau social WhatsApp dans le cadre du travail. Selon une enquête de l’Ifop pour le site Lemon.fr, parue ce jeudi 2 mars, 54% des français « ayant au moins un groupe WhatsApp actif sont membres d’une conversation professionnelle ». « Cela permet une circulation simple et rapide de certaines informations. Les travailleurs qui ne sont pas derrière leurs ordinateurs toute la journée y ont aussi accès. », détaille Yoann Greffier, le fondateur d’Exergue conseil, une agence de conseil en communication interne & RH. Il pointe néanmoins de nombreuses dérives potentielles : la multiplication des canaux, les conversations sans fin… « Mais le côté le plus négatif est cette fâcheuse tendance à ce qu’il y ait un envahissement dans la sphère personnelle. », estime-t-il. « Certains collaborateurs ne s’arrêtent jamais. Il y a des notifications en soirée, pendant les week-ends… C’est vraiment néfaste pour l’équilibre entre la vie professionnelle et personnelle. », soutient-il.
Impossible de déconnecter
« En théorie, je ne travaille pas le week-end. », raconte Fiona. Ce qui n’empêche pas ses supérieurs de l’appeler le vendredi soir : « Il m’est arrivé de faire un PowerPoint à trois heures du matin en rentrant de soirée. Il y a eu des moments où j’ai claqué mon ordinateur et j’ai tout coupé. Ça débordait trop dans ma vie privée. On rentre dans des cercles qui sont très vicieux ». Pour la trentenaire, l’utilisation de WhatsApp génère en partie ce genre de situations. Elle préférerait communiquer via ses e-mails professionnels. « Ils ne sont pas installés sur mon téléphone. Quand mon ordinateur est fermé, je suis tranquille. Mais quand je ne réponds pas aux e-mails, je reçois des messages sur WhatsApp… », déplore-t-elle.
Conséquences néfastes pour la santé
Élia utilise aussi WhatsApp dans le cadre de son travail ; elle est costumière dans le cinéma. Et ses conversations professionnelles débordent sur sa vie privée… Une situation qu’elle avoue subir un petit peu. « Il y a plein d’infos qui viennent à la suite, à des moments où je ne suis pas concentrée. J’ai l’impression que je vais rater des infos si je ne regarde pas. Du coup je me concentre sur mon travail quand je ne devrais pas. », raconte la vingtenaire. Elle admet aussi culpabiliser de ne pas travailler quand elle reçoit des messages WhatsApp sur ses heures de repos. Un docteur en psychologie cognitive et spécialiste des questions liées à l’hyperconnexion et aux rythmes de travail, pointe plusieurs conséquences néfastes pour la santé. « On accumule un fort besoin de récupération si on ne déconnecte pas suffisamment. Il peut y avoir des risques d’anxiété, de dépression… Ça peut aussi augmenter le risque de burn-out et celui de maladies cardiovasculaires ». Il liste un autre problème de la pratique : « Il peut y avoir des conversations privées qui apparaissent sur notre WhatsApp alors qu’on est au travail. Ce qui peut engendrer une charge mentale supplémentaire. », déclare Paul Brazzolotto.
Des limites très floues
Car WhatsApp est avant tout une application destinée à la sphère privée. Quand on l’utilise aussi dans un cadre professionnel, le risque est de mélanger les codes et de franchir des lignes qui ne devraient pas être franchies au travail. Dans l’entreprise de Fiona, les liens devenaient tellement proches qu’il n’y avait plus vraiment de limites entre le professionnel et le privé. « J’ai reçu des remarques qui ne devraient pas avoir lieu. On n’était plus du tout dans le professionnel. », dénonce la responsable stratégique. « Je me rendais compte que ce n’était pas normal. Quand il y avait des remarques déplacées, je bottais en touche, ou je laissais les messages en ‘lu’. », complète-t-elle. Pour Paul Brazzolotto, utiliser WhatsApp à la fois dans les sphères privées et professionnelles exige une flexibilité mentale. « Notre cerveau doit aller chercher dans sa mémoire les codes qui sont associés à tel environnement, rendant la communication plus complexe. », explique-t-il. Ce qui peut entraîner des « erreurs » ou des « interférences » : « On risque d’être plus amical avec des collègues et plus courtois avec sa famille ».
Bourbier organisationnel
Fiona s’est par exemple déjà trompée de destinataire en envoyant la photo d’un fauteuil qu’elle voulait s’acheter par erreur à son boss… « J’étais persuadée d’envoyer un message à ma mère. Je ne savais plus vraiment à qui je parlais, étant donné que j’étais en communication avec les deux en même temps. », partage-t-elle. Utiliser WhatsApp dans un cadre professionnel peut aussi entraîner des difficultés au niveau organisationnel. Notamment à cause de la multiplication des conversations. « J’ai une quinzaine de groupes WhatsApp liés à mon travail. », glisse Titouan, responsable d’un restaurant parisien. Cette organisation lui convient : « il est facile de faire les distinctions entre les conversations ». « Les informations circulent parfois mal. Il y a beaucoup de distinctions à avoir. J’oublie parfois de communiquer une info à une personne car elle n’est pas dans le groupe où j’ai posté l’information. », admet Titouan.
Surcharge d’information
Selon Paul Brazzolotto, cette multiplicité des canaux est efficace quand les règles sont claires sur leur utilisation. « Il y aura un problème si on utilise ces canaux de manière interchangeable. », indique-t-il, d’autant plus qu’il existe déjà « beaucoup d’outils de communication au travail. Le mail, une messagerie professionnelle… ». La multiplication des canaux peut ainsi conduire à un risque de surcharge d’information. « Le cerveau humain peut saturer et ne pas traiter les informations de manière optimale. », dit Paul Brazzolotto. Pour Yoann Greffier, il faut se poser la question du « bénéfice qu’apporte un groupe WhatsApp », car la tendance à additionner les canaux crée parfois des difficultés : « On ne sait plus lequel utiliser ». Il admet même qu’il ne recommande jamais à un client d’utiliser WhatsApp. « Même dans une entreprise où 80% des travailleurs ne sont pas connectés, je préfère qu’il y ait un point d’équipe une fois par semaine plutôt que d’envahir tout le monde avec un groupe WhatsApp ou tout peut se mêler. », affirme Yoann Greffier.
Lire et répondre… du travail ?
Pour vraiment se déconnecter, Fiona passe souvent en mode avion à des moments choisis, comme un dîner entre amis ou une soirée. Elia a aussi développé des techniques pour éviter que son travail n’envahisse trop sa sphère privée : « Quand je reçois un message, je ‘l’aime’ pour montrer que je l’ai lu. Je réponds si on me pose une question directement et que ça ne me prend pas beaucoup de temps. Mais je ne me mets jamais à travailler ». Reste à savoir si lire et répondre aux messages n’est pas déjà du travail. D’aucuns diront que oui.
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