« Monsieur le Président, votre fan-club n’en revient pas de vous avoir vu en train de jouer les émeutiers le Vendredi-Saint au marché Dantokpa. Pas possible ! Mais l’effarement passé, il a fallu se résoudre à accepter que les images défilant sur les smartphones n’étaient pas un vidéo-montage destiné à salir votre image. Ensuite on a essayé de comprendre, fort de ce que nos actes conscients ont une explication, fût-elle enfouie au fond du subconscient.
La réflexion a donc révélé que vous portez une blessure récente. Elle a ravivé deux anciennes blessures mal cicatrisées et fait de vous un foyer ardent crépitant de colère. La toute première blessure remonte à 1996. Vous méritiez le second mandat présidentiel. Il vous a été refusé. Avec vous nous avons éprouvé incompréhension et amertume. La deuxième a trait à votre passage à la tête de la ville de Cotonou, dont vous n’aurez pas été le maire inoubliable comme vous avez été le premier président emblématique de notre Renouveau démocratique. Et nous avons regretté avec vous la difficulté à transformer en cité magnifique notre capitale économique. La troisième blessure, qui a réveillé les deux ci-dessus, est le départ volontaire de votre fils aîné pour un exil lointain. Point n’est besoin de se mettre à votre place pour comprendre que votre souffrance est immense. Mais votre fils est adulte et responsable. Il sait le choc produit sur vous par son départ précipité. Il presse qu’il ait le courage de revenir aussi librement qu’il est parti. A la justice il dira que sa gestion fut irréprochable. Ses avocats lui viendront en renfort. C’est la règle. Et c’est ainsi qu’il vous consolera et contribuera à refermer les deux blessures rouvertes par celle qu’il a causée.
Mais, même souffrant, vous êtes là. Et parce que vous êtes encore et toujours utile à notre pays, et parce que nos chagrins les plus tenaces s’estompent pendant que nous sommes attelés à quelque noble cause, votre fan-club voudrait vous voir user de votre autorité morale pour éclairer la lanterne des Béninois sur trois points. Le premier concerne le récent événement de Kilibo qui aurait pu tourner à la tragédie nationale. Les paysans-chasseurs venus se heurter aux forces de l’ordre ont-ils été instrumentalisés ? Si oui, par qui ? Le deuxième concerne le roman policier de la vraie disparition de Pierre-Urbain Dangnivo. Vous pouvez aider à l’éclosion de la vérité. A moins que ce ne soit un de ces crimes d’Etat, ‘‘crime parfait’’, rappelant l’opposant marocain Ben Barka ‘‘disparu’’ à Paris, ou le sous-préfet Pamphile Hessou ‘‘disparu’’ à Boukombé. Le troisième point est celui de l’assassinat de l’ancienne ministre Bernadette A. Sohoundji, perpétré aux environs de 23 h, entre Ouidah et Cotonou. Certains Béninois le mettent en lien avec la disparition de Dangnivo pour expliquer l’absence de toute enquête autour de ce meurtre commis de sang-froid. Encore un crime d’Etat ? ‘‘Disparaître’’ ou être abattu sur ordre de l’Etat, est-ce le sort des Béninois jugés gênants pour avoir surpris des choses troublantes au sommet de l’Etat ?
Monsieur le Président, pour votre fan-club vous n’êtes pas dans un placard. Même souffrant, vous êtes là, objet toujours de notre gratitude pour le rôle éminent qu’il a plu au destin de confier au Premier Ministre et au Président de la République que vous avez été pour sortir le Bénin du désespoir où l’avait jeté un désastre économique. Cette réussite fait de vous l’Ancien de Référence. Ne vous dérobez pas à l’être. Soyez-le sans cesse et jusqu’au bout. Avec, comme il se doit, ce qu’il convient de hauteur et de distance. Demain est un nouveau matin. Et vous vous emploierez à faire ce qu’il convient pour que reviennent à vous et vous restent attachés l’amour et le respect qui sont ceux du peuple béninois pour vous.
Merci, Monsieur le Président. »
Professeur Roger Gbégnonvi, écrivain.
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