Photo : Le trou noir Sagittaire A* au cœur de notre galaxie
Cette image, similaire à celle du trou noir au centre de la galaxie voisine M87, permet de vérifier la théorie de la relativité générale dans les conditions les plus extrêmes. Il s’agit d’un disque orangé un peu flou entourant une ombre noire. Pas impressionnant de prime abord, mais cette photo dévoilée, ce jeudi 12 mai, est révolutionnaire. L’humanité y distingue pour la première fois Sagittaire A*, le trou noir supermassif qui trône au centre de notre galaxie, la Voie lactée, à 27.000 années-lumière de la Terre. Déjà-vu, dites-vous ? En effet, il y a trois ans presque jour pour jour, les chercheurs travaillant sur l’Event Horizon Telescope (EHT) dévoilaient une photo très similaire : le trou noir supermassif situé au centre de la galaxie M87. Mille fois plus loin, mais mille fois plus gros, Powehi était plus simple à photographier et à analyser que Sagittaire A*. Cette fois, le même groupe de scientifiques a enfin réussi à percer les secrets du centre de notre galaxie.
Mais le fait que ce ne soit pas une première est, paradoxalement, presque plus réjouissant. Une fois, on peut se tromper ou avoir à faire à un phénomène étrange, bizarre. « Avec cette deuxième observation, on est très confiants sur le fait que l’environnement proche d’un trou noir ressemble bien à cette photo. », s’enthousiasme Frédéric Gueth, chercheur au CNRS. La première photo de Sagittaire A*, le trou noir au centre de notre galaxie, confirme la théorie de la relativité générale d’Albert Einstein. Le scientifique, Directeur adjoint de l’IRAM un institut européen dont les télescopes ont servi à produire cette photo de Sagittaire A*, va plus loin : « avec cette image d’une source bien plus proche, on a de nombreuses informations précises qui nous permettent de confirmer qu’il n’y a aucune déviation par rapport aux prédictions de la relativité générale ».
Crash test extrême pour Einstein
La théorie de la relativité générale, publiée en 1915 par Albert Einstein décrit (pour faire très simple) « la manière dont l’espace et le temps sont déformés par des masses énormes, comme les trous noirs. », schématise Frédéric Gueth. Quatre (04) ans après, un premier « test » est passé avec l’observation lors d’une éclipse solaire de ce que prévoient les calculs plus grands scientifiques du XXe siècle. Mais la théorie fonctionne-t-elle vraiment partout, même dans les environnements les plus extrêmes, comme les trous noirs (qui ont justement été théorisés grâce à la relativité générale) ? La photo de Sagittaire A* en est une preuve indéniable. Une sorte de crash test de l’extrême pour Einstein, comme celui de la détection des ondes gravitationnelles. Mais cette fois, nous avons une « vraie » photo, une preuve directe.
Pour autant, s’il s’agit d’une « preuve directe » de l’existence des trous noirs, on ne peut pas dire que l’on « voit » cet objet mystérieux. Pour une simple et bonne raison : les trous noirs sont physiquement invisibles. Prédits par la théorie de la relativité générale d’Einstein, ils seraient issus d’étoiles tellement massives qu’elles s’effondrent sur elles-mêmes. Résultat : ne reste qu’un point minuscule, un objet extrêmement compact, mais tellement dense que sa gravité attire et capture tout, même la lumière. « Autour, il y a une sphère d’influence, une distance où la gravitation est si forte que rien ne peut s’échapper. », explique Frédéric Gueth. La « surface » de cette sphère, c’est ce que l’on appelle l’horizon du trou noir (ou « horizon des événements »). Si quelque chose, même la lumière, passe cette frontière, elle ne peut jamais ressortir. C’est la limite de non-retour. Résultat: on ne peut pas « voir » un trou noir.
Cercle relatif
Mais que discerne-t-on exactement sur cette image ? C’est l’ombre du trou noir. La zone orangée autour est un disque d’accrétion. « Le trou noir est entouré de matière chaude, brillante, qui est petit à petit mangée par le trou noir. », précise Frédéric Gueth. La matière est tellement chaude qu’avant de sombrer, elle rayonne sur certaines longueurs d’ondes électromagnétiques, à certaines fréquences. Celles justement captées par l’EHT. Ce que l’on voit, c’est donc une absence, l’opposé de la lumière. Et c’est exactement ce que prédisent les équations de la théorie de la relativité. Vous vous posez peut-être encore quelques questions. Par exemple, pourquoi, autour de cette ombre de Sagittaire A*, le disque d’accrétion n’est-il pas circulaire, bien régulier ? Bref, pourquoi cette tache orange ressemble-t-elle un peu à un genre de donut déséquilibré ?
Eh bien, c’est à cause d’Albert Einstein. « Dans l’environnement proche d’un trou noir, il y a des effets de la relativité générale très forts [pour en savoir plus sur ces effets, c’est ici, NDLR] : la lumière ne se propage pas en ligne droite, cela déforme donc les images. », détaille le directeur adjoint de l’IRAM. Ces télescopes de l’IRAM sont utilisés pour observer les trous noirs supermassifs. « On peut observer que la lumière qui provient de derrière le trou noir converge à un endroit, ce qui crée ces déformations ». Justement, cette image colle tellement aux prédictions de la physique théorique que c’est « quelque part le triomphe de la relativité générale ». Mais le triomphe ne veut pas dire qu’il faut arrêter de chercher. « On ne peut pas exclure que si l’on regarde de plus près, on trouve quelque chose qui ne colle pas totalement. », rappelle Frédéric Gueth. Maintenant que la photo de Sagittaire A* est dans la boite, les chercheurs qui travaillent sur l’EHT ont de nouveaux objectifs.
Quand Interstellar devient réalité
D’abord, améliorer la qualité des données et de la photo. Pour Powehi, cela avait pris environ deux ans pour passer l’image du trou noir en HD. Mais surtout, ce qu’espère Frédéric Gueth, c’est de transformer la photo en film. Pour comprendre, il faut expliquer que l’observation du réseau de télescope et le disque d’accrétion du trou noir bouge. C’est justement pour cela que la photo de Sagittaire A* a été plus longue à publier. Powehi est si gigantesque que son mouvement est bien plus lent. « Pour Sagittaire A*, on a dû développer des logiciels spécifiques pour corriger ce mouvement afin d’avoir une seule image. Ce qui serait génial, c’est de pouvoir animer plusieurs images pour comprendre comment cet objet bouge. », espère Frédéric Gueth. D’autant qu’avec la mise en place dans les Alpes de Noema, deuxième réseau d’antennes le plus puissant de l’EHT, la qualité des futures images des trous noirs Sagittaire A* et Powehi devraient être grandement augmentées.
Soyez le premier a laisser un commentaire