Ce jour n’est pas forcément un jour heureux pour TotalEnergies. La firme accusée de mener un méga projet pétrolier en Ouganda et en Tanzanie, à savoir East African Crude Oil Pipeline, entendez en français Oléoduc du Pétrole d’Afrique de l’Est (EACOP), au mépris des droits humains et de l’environnement, a rendez-vous, ce mercredi 12 octobre, devant le tribunal judiciaire de Paris, en France, sommé par six ONG de respecter la loi qui lui impose un « devoir de vigilance » sur ses activités dans le monde. L’audience sur le cœur de cette affaire, la première portée devant la justice depuis une loi pionnière de 2017, se tient avec trois ans de retard en raison d’une bataille procédurale finalement perdue par le géant pétrolier et gazier français.
Non-respect du « Rana Plaza »
La procédure remonte à l’assignation déposée contre TotalEnergies en octobre 2019 par les Amis de la Terre, Survie et quatre associations ougandaises. Elles accusent le groupe français de ne pas respecter la loi française dite du « Rana Plaza », du nom de l’immeuble qui s’est effondré en 2013 au Bangladesh, tuant plus de 1000 ouvriers dans des ateliers de confection au service de grandes marques occidentales. Cette loi oblige les multinationales à « prévenir les atteintes graves envers les droits humains, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement » chez leurs sous-traitants et fournisseurs étrangers, par l’intermédiaire d’un « plan de vigilance ». Ce plan doit cartographier des risques et établir les mesures pour les prévenir. Mais son contenu est souvent jugé insuffisant par le monde associatif, qui fustige une application déficiente de la loi.
34 millions de tonnes de CO2 rejetées par an
Avec EACOP, TotalEnergies veut construire le plus grand oléoduc chauffé et enterré du monde dont le coût sera faramineux pour la planète. Celui-ci sillonnera l’Ouganda et la Tanzanie sur plus de 1445 kilomètres, soit environ la distance entre Paris et Budapest. Objectif : transporter de l’or noir jusqu’au bord de l’océan Indien pour l’acheminer ensuite plus facilement. Problème, les répercussions de ce projet sur le climat et la biodiversité de ce projet sont nombreuses. Si bien que le mercredi 25 mai dernier, des militants écologistes avaient tenté d’empêcher la tenue d’une Assemblée Générale (AG) de TotalEnergies, qui souhaitait consulter ses actionnaires sur sa stratégie climat. Les militants n’avaient finalement pas réussi à empêcher cette AG, où s’étaient réunis les grands investisseurs de TotalEnergies. Notons qu’en réalité, EACOP, c’est 34 millions de tonnes de CO2 rejetées par an, soit six fois les émissions de l’Ouganda. Ce qui lui vaut le surnom (donné par ses détracteurs) de « bombe de carbone » ou « bombe climatique », incompatible avec l’Accord de Paris sur le climat.
Parmi eux, Amundi, la société d’investissement du Crédit Agricole, avait conclu que la multinationale française n’avait pas de plan climat compatible avec l’urgence du dérèglement climatique. « Le bon sens voudrait donc que les investisseurs votent contre ce greenwashing. », écrivait de son côté Lucie Pinson, fondatrice et directrice de Reclaim Finance, sur Politis. Le « greenwashing » mentionné par Lucie Pinson se traduit par des promesses de TotalEnergies contredites par les associations et ONG environnementales. La première promesse de la multinationale : que ce projet soit à faible impact carbone. L’Agence internationale de l’Énergie est claire : aucun nouveau projet pétrolier et gazier ne doit sortir de terre dans un scénario à 1,5 degré.
TotalEnergies assure aussi que ce projet a un impact positif sur la biodiversité. La firme prétend rendre le site dans un meilleur état qu’avant les travaux. Elle va aussi financer la réintégration d’animaux sauvages en Ouganda, comme le rhinocéros noir. Une bonne nouvelle pour le rhinocérotidé, mais qui masque difficilement le fait que l’oléoduc va traverser 16 aires protégées dans les deux pays qui abritent notamment des lions, des antilopes et des singes. Par ailleurs, l’oléoduc longera les deux plus grandes réserves d’eau douce de l’Afrique de l’Est, les lacs Victoria et Albert. Concernant ce point, TotalEnergies assure qu’« une attention particulière a été accordée aux cours d’eau, et le forage horizontal sera utilisé pour les cas les plus sensibles ». Les ONG pointent surtout qu’en cas de fuite, il y a un risque de marée noire. Un danger immense alors que 40 millions de personnes dépendent de l’eau du lac Victoria.
18000 personnes affectées par le projet
Le projet vise enfin, selon TotalEnergies, à contribuer à améliorer la qualité de vie des personnes vivant sur place. Dans les faits, 18000 personnes vont être affectées par le projet et parmi elles, 723 familles devront quitter leur foyer. Même si TotalEnergies leur promet de l’argent ou une nouvelle maison, les victimes du projet déplorent des compensations financières bien trop faibles. D’autant plus que l’argent ne peut rien pour la pollution des sols liée à l’extraction du pétrole. L’agriculture va devenir de plus en plus compliquée dans ces pays qui en sont dépendants pour vivre. C’est pour toutes ces raisons que plus de 250 ONG du monde entier avaient appelé les patrons de 25 banques à ne pas participer aux prêts destinés à financer la construction de l’oléoduc. Le 25 mai dernier, les actionnaires avaient finalement soutenu la firme. Mais pour la première fois, des entreprises s’étaient opposées à la stratégie climat du géant pétrolier. Il convient de souligner qu’un collectif de personnalités internationales (politiques, climatologues, responsables associatifs, évêques…) a par ailleurs appelé, lundi 10 octobre, dans une tribune « à stopper » ce méga projet qui précipiterait « le bouleversement climatique et son cortège de catastrophes meurtrières ».
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