Un vaccin « expérimental » pour des humains « cobayes ». Le Covid, et l’arrivée sur le marché des vaccins ARN, ont vu affluer une foule d’arguments anti-vaccination. Parmi les plus répandus, celui sur l’immaturité supposée de cette technologie. Le parcours des prix Nobel de médecine 2023, Katalin Kariko et Drew Weissman, rappelle de manière cinglante, à l’heure où commence une nouvelle campagne de rappel, à quel point cet argument est mensonger. Nous sommes en 1997, il y a 25 ans, lorsque la chercheuse hongro-américaine Katalin Kariko apporte à son nouvel associé, Drew Weissman, ses recherches sur l’ARN messager, connu depuis les années 60. À l’époque, ses essais n’aboutissent pas, et ont fini par coûter à la biochimiste son poste à l’université de Philadelphie. Depuis plusieurs années, elle passe d’un laboratoire à un autre, sans que ses recherches n’aboutissent : à chaque fois, l’ARN déclenche des inflammations chez les souris que le vaccin est censé protéger. Cest après encore des années d’essais, en 2005, que Kariko et Weissman voient leurs efforts couronnés de succès. Une idée, celle de modifier l’ARN pour ne pas alerter le système immunitaire, est la clef de cette réussite, la matrice originelle des vaccins tels que l’on les connaît aujourd’hui.
Point de maturation
Pourtant, le chemin est encore long, très long pour que cette technologie nouvelle passe les portes des grands du secteur du médicament. Des années après la publication de leurs recherches, ils n’attirent guère les représentants du fameux « big pharma » tant dénoncé par les antivaccins. Seuls Moderna (fondée en 2010) et BioNTech (fondée en 2008), deux sociétés de biotechnologies, font la chasse aux deux chercheurs. En 2013, Katalin Kariko se décide et opte pour cette dernière. C’est alors que commencent les collaborations avec les grandes compagnies : Pfizer en 2018, pour le développement d’un vaccin contre la grippe ; Sanofi en 2019 pour un traitement contre le cancer, la fondation Bill et Melinda Gates la même année… La recherche de vaccins utilisant la technologie ARN se fait alors sur tous les fronts. Mais c’est bien sûr durant la pandémie de Covid que ces années d’efforts aboutissent, avec le développement du premier vaccin à ARN messager pour les humains. Cela n’a rien d’un hasard : Pfizer est déjà le partenaire de BioNTech, et la solution ARN semble au géant américain la plus prometteuse. Pourquoi ? Justement parce que la technologie, connue depuis des décennies, a atteint son point de maturation, comme l’ont expliqué les scientifiques travaillant pour Pfizer dans un témoignage publié en mars 2023.
Des centaines de chercheurs pendant 30 ans
Le parcours de Katalin Kariko et Drew Weissman est un parallèle en raccourci de cette longue, très longue histoire du développement de la technologie de l’ARN modifié. Depuis sa première utilisation avérée en laboratoire en 1984, des centaines de chercheurs ont travaillé à l’élaboration d’une solution efficace, et surtout stable. Ce qui caractérise le cheminement de cette technologie, ce sont bien plus les coups d’arrêts brusques qu’elle a surmontés que sa rapidité pour arriver sur le marché contre le Covid en 2020-2021. Il y a bien sûr les recherches de Katalin Kariko à la fin des années 90 qui sortent l’ARN de l’ornière, mais ce n’est pas tout. Jusqu’au début des années 2000, la fragilité de l’ARN modifié fait qu’il est impossible de l’injecter efficacement, sans qu’il soit immédiatement détruit. La solution sera de l’entourer de lipides pour empêcher sa dégradation, et il faudra attendre 2012 pour qu’elle s’impose dans le milieu scientifique. Après, là encore, des dizaines de réplications en laboratoire auront lieu. Décidément, l’ARN messager n’a rien de la dangereuse rêverie d’une science sans contrôle.
Le premier vaccin ARN expérimenté
Quant aux tests sur des sujets humains, ils ne datent pas non plus du Covid, loin de là. Le premier vaccin ARN expérimenté sur l’homme est un traitement préventif contre la rage, testé en… 2013. Puis jusqu’en 2020, des vaccins candidats contre le virus Zika, contre Ebola, ou encore le H1N1 ont été cliniquement testés sur des patients. L’urgence du Covid a ensuite levé les obstacles financiers, administratifs tout en créant une énorme demande pour un vaccin, ce qui a permis au traitement ARN contre le Sars-CoV-2 d’arriver plus tôt que les autres. Mais faire de ce vaccin une solution « expérimentale » est une insulte aux prix Nobel de médecine 2023, tout comme à la foule de chercheurs qui a contribué à la maturation de cette technologie.
Soyez le premier a laisser un commentaire