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Nobel : Annie Ernaux reçoit le prix de Littérature 2022, devient première femme de lettres française à décrocher la prestigieuse distinction

Photo : La lauréate française, professeur de littérature Annie Ernaux


Un choix évident. Alors même que le nom d’Annie Ernaux a souvent été cité parmi les favoris des bookmakers, l’écrivaine de 82 ans a (enfin) reçu le prix Nobel de littérature, ce jeudi 6 octobre à Stockholm, devenant par là même la première femme de lettres française à décrocher la prestigieuse distinction. Prix Renaudot en 1984 pour La Place et finaliste du Booker Prize en 2019, la professeure de littérature à l’Université de Cergy Pontoise est connue en France, mais aussi dans le monde entier, pour ses récits autobiographiques dans lesquels elle dissèque aussi bien le poids de la domination de classe ou du patriarcat que ses passions amoureuses. L’autrice, dont le dernier roman Le jeune homme est paru au mois de mai dernier, « croit en la force libératrice de l’écriture, note l’Académie du Nobel. Son travail est sans compromis et écrit dans un langage simple, épuré. Avec beaucoup de courage et une grande acuité (…) elle a réalisé quelque chose d’admirable et de durable. »

Scandale à l’Académie suédoise

Même si le jury répètait à tout va que son prix n’est pas politique, ni même soumis à des règles de parité ou de diversité ethnique, et que seule la qualité des lettres prévaut, l’attribution du prix Nobel à Annie Ernaux, cette année, tombe à point nommé. Elle intervient trois ans après la refonte de l’Académie suédoise, entamée en 2019 à la suite d’un scandale. Dix-huit femmes ont, en 2018, accusé le français Jean-Claude Arnault, personnalité influente de la scène culturelle suédoise, de viols et d’agressions sexuelles survenus entre 1996 et 2017. Époux de la poétesse et académicienne suédoise Katarina Frostenson, il recevait de généreuses subventions de l’Académie, se vantait d’en être le « 19ème membre » et, selon des témoins, soufflait le nom des futurs lauréats à ses amis. Une enquête préliminaire avait été ouverte, mais rapidement classée sans suite, poussant six des sages, dont la secrétaire perpétuelle en exercice Sara Danius, à quitter leur fauteuil. Le temps a passé et, en décembre 2018, la justice suédoise a finalement condamné Arnault en appel à deux ans et demi de prison ferme avec amende pour le viol à deux reprises d’une des signataires de la tribune en 2011. En 2019, un nouveau secrétaire perpétuel a été élu. Il s’agit de Mats Malm, un professeur de lettres de 54 ans. De nouveaux membres ont aussi fait leur entrée, tandis que cinq consultants externes indépendants chargés d’apporter de nouvelles perspectives ont été engagés.

« Une femme qui écrit »

Longtemps critiquée pour ses choix masculins et eurocentrés, l’Académie semble avoir changé son fusil d’épaule. « Elle est désormais évidemment soucieuse de son image en ce qui concerne la diversité et la représentation des genres d’une tout autre façon qu’avant le scandale. », souffle en ce mois d’octobre, le chef du service culturel du quotidien suédois Dagens Nyheter. Pour certains, le sacre, en 2021, d’Abdulrazak Gurnah, un auteur originaire de Tanzanie dont les romans (comme Paradis et Adieu Zanzibar) évoquent avec poigne l’exil des réfugiés et l’anticolonialisme, peut en témoigner. Celui d’Annie Ernaux, en 2022, aussi. L’autrice, qui affirmait en 2022 se « sentir un peu illégitime dans le champ littéraire », est une référence pour toute une nouvelle génération d’artistes et d’intellectuels qui voient en elle une icône féministe. Celle qui se définit comme « une femme qui écrit » parle depuis 1974, date à laquelle elle a publié Les armoires vides, des événements qui ont traversé sa vie. Dans La femme gelée, outre la nation de charge mentale en filigrane, c’est l’échec de son mariage. Dans Mémoire de fille, c’est le viol dont elle a été victime adolescente. Avec Passion simple et L’occupation, elle décrit l’aliénation amoureuse. Depuis 2021, son travail a pris une nouvelle dimension avec l’adaptation au cinéma, par Audrey Diwan, de L’Événement. Le film, qui a valu à sa réalisatrice le prestigieux Lion d’or lors de la Mostra de Venise en 2021, suit de manière fidèle le texte original, paru en 2000. C’est l’histoire du parcours du combattant d’Annie Ernaux, alors étudiante en lettres, pour avorter au début des années 1960.

L’Événement

Comme le roman autobiographique dont il est inspiré, le long-métrage aborde un pan de problématiques transversales, comme la liberté des femmes à disposer de leur corps ou la volonté de s’affranchir du déterminisme social, une constante dans l’œuvre de l’écrivaine française. En France, l’IVG est autorisée depuis la promulgation de la loi Veil du 17 janvier 1975. Dans de nombreux pays à l’étranger, il est interdit. Dans d’autres, il est remis en question. En Pologne, par exemple, le gouvernement durcit depuis plusieurs années ses lois en matière d’accès à l’avortement, au point où il est quasiment interdit en 2022. Aux États-Unis, la Cour suprême a provoqué un tremblement de terre en révoquant le droit à l’avortement, laissant la possibilité aux États d’adopter leur propre législation. Les faits racontés dans L’Événement ont beau être antérieurs, ils résonnent dans l’actualité. L’attribution du Nobel de littérature à la star de la littérature française, aussi. Le sacre de l’écrivaine française, dont les récits autobiographiques et féministes ont marqué l’histoire de la littérature française, résonne avec l’actualité.

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