Photo : La professeur de littérature Annie Ernaux, Prix Nobel de littérature 2022
Un honneur qu’elle croyait peut-être hors de portée. La littérature française est une nouvelle fois auréolée à Stockholm, hier, jeudi 6 octobre, huit ans après Patrick Modiano, avec le prix Nobel de littérature qui a été décernée à l’écrivaine Annie Ernaux. Récompensée pour « le courage et l’acuité clinique avec laquelle elle découvre les racines, les éloignements et les contraintes collectives de la mémoire personnelle », l’intéressée a peut-être été la plus surprise : Annie Ernaux n’y a, au départ, pas cru, comme le racontent plusieurs journalistes ayant assisté au coup de fil pendant lequel l’écrivaine de 82 ans a appris la nouvelle.
L’écrivaine française a été inondée d’appels avant de décrocher pour apprendre qu’elle avait remporté le Prix Nobel de littérature 2022. Sa première réaction a été pleine de doute. « Non ! Ah bon ? Je suis très surprise, vous êtes sûrs que je l’ai bien reçu ? », s’est-elle exclamée en recevant l’appel des journalistes de l’agence de presse scandinave TT Nyhetsbyrån (ou simplement TT), comme l’a repéré la journaliste française Anne-Françoise Hivert. « Je travaillais ce matin et le téléphone n’arrêtait pas de sonner mais je n’ai pas répondu », a expliqué Annie Ernaux à l’agence TT, rapporte également le quotidien suédois Hallands Nyeter, citant les propos rapportés par l’agence TT. Face à la presse française, ce jeudi après-midi, l’écrivaine française s’est même confiée sur les circonstances précises du moment où elle a découvert la nouvelle, non sans une certaine malice : « J’étais dans ma cuisine et j’écoutais la radio quand j’ai appris que j’avais le Nobel, mais je ne vous dirai pas avec qui j’étais ni comment j’étais habillée ».
Pour l’heure, Annie Ernaux n’a même pas d’idées de ce qu’elle pourra faire de tout l’argent qui accompagne le prix Nobel de chaque lauréat. Même chose concernant une éventuelle venue en Suède pour recevoir son prix en personne. « Je ne sais pas, j’ai encore du mal à y croire. », a-t-elle répondu aux journalistes de TT, au moment d’apprendre la nouvelle. N’estimant pas mériter la reconnaissance littéraire, elle leur a expliqué devoir maintenant « y faire face » et glisse vouloir « écrire quelque chose sur la perspective féminine et sociale ». Elle a également promis de « continuer le combat contre les injustices » et souligné l’importance renouvelée du combat féministe, dont le droit à l’avortement pour lequel elle se battra « jusqu’au dernier souffle ».
Comme en témoigne le récit de l’agence suédoise sur cette interview à chaud, l’autrice a même été contrainte de couper court à la discussion en raison du torrent d’appels reçus dans les minutes suivants l’annonce de son prix. « Je ne peux probablement pas parler plus longtemps. Ça n’arrêtera pas de sonner ici, je suppose que je dois appeler mon éditeur si c’est d’accord ? Merci ! », leur a-t-elle dit avant de raccrocher. Une surprise de l’annonce pouvant s’expliquer par le fait que l’autrice de L’année et de L’événement s’était déjà fait duper par une remise de prix Nobel. Annie Ernaux s’était d’ailleurs confiée sur cette mésaventure dans un article de L’Obs publié en octobre 2021, permettant de mieux comprendre sa surprise du jour. Déjà favorite pour bon nombre d’observateurs ces dernières années, elle raconte : « Des gens en parlaient depuis quelques années, dans le monde universitaire en particulier. Je n’écoutais jamais parce que c’est quelque chose dont je n’ai pas envie, qui me semble démesuré par le faste, l’argent… ».
Sauf qu’à forcer d’en parler, un petit malin a eu l’idée de se faire passer pour elle. « Et puis un type s’est fait passer pour moi sur Twitter. Il annonçait que j’avais le prix. Quelqu’un s’est laissé duper et m’a envoyé un message pour me dire bravo […] J’étais embêtée, vraiment embêtée. Puis j’ai pensé : c’est idiot, Gallimard m’aurait prévenue. Quand je suis sortie, il y avait au moins douze mecs avec des perches dans ma petite rue. Je leur ai dit : Mais qu’est-ce que vous faites là ? On m’a répondu : Ben au cas où. Ça m’a fichu un coup », se remémore-t-elle. Une mésaventure qui lui avait alors inspiré cette réflexion : « Si j’avais eu le prix, ces gars-là auraient fait le siège de ma maison. J’ai trouvé ça horrible. Ce n’est pas la vraie vie ». Pourtant en octobre 2022, c’est bien dans la vraie vie qu’elle a finalement remporté le prix Nobel.
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